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Risque psychosociaux, suicide à France télécom

Interview

Monique Fraysse-Guiglini, médecin du travail chez France Télécom, dénonce l'impact des restructurations sur les salariés et appelle à repenser en profondeur l'organisation du travail dans l'entreprise, confrontée à une série de suicides.

Recueilli par CORDÉLIA BONAL


Monique Fraysse-Guiglini est médecin du travail chez France Télécom depuis 1987. A Grenoble, où elle exerce, elle suit environ 1200 salariés: techniciens, cadres, commerciaux, informaticiens, ingénieurs en recherche et développement... Si elle souligne que «tout ne va pas mal», chez France Télécom, elle juge la situation «très préoccupante depuis deux trois ans».

Que percevez-vous, chez les salariés que vous suivez, du climat de travail à France Télécom?

Ce que je constate à titre personnel -je précise que je ne parle pas au nom de tous les médecins du travail à France Télécom-, c'est un sentiment de malaise assez largement partagé. Les restructurations, qui sont opérées à un rythme très soutenu chez France Télécom (22.000 postes supprimés en trois ans, ndlr) ont un impact très fort chez les salariés. Elles entraînent une perte de repères, une désorganisation dans la vie professionnelle mais aussi personnelle des gens, à qui l'on impose du jour au lendemain de changer de métier - de technicien à commercial notamment- où d'aller travailler sur un site à des centaines de kilomètres. C'est par exemple un service de 10 personnes convoqué par le manager qui leur dit «il faut que je fasse - 2». C'est d'une grande violence.

Avec quelles conséquences pour la santé des salariés?

Ces mobilités imposées sont bien sûr extrêmement anxiogènes, y compris pour les managers, soumis à une pression très fragilisante. Ce contexte génère tout un cortège de manifestations: absentéisme, accidents du travail, troubles du sommeil, tristesse, angoisse, perturbation de la vie familiale, troubles somatiques... Certains développent des addictions: tabac, alcool, calmants... Il n'est pas étonnant, dans ce climat, que les plus fragiles en viennent à commettre des actes désespérés.

Les salariés ont-ils quelqu'un vers qui se tourner dans l'entreprise?

Non, à part les assistantes sociales et la médecine du travail. Etant les seuls à proximité, on fait office de pompiers. Le management à distance, qui est la règle à France Télécom, pose de réels problèmes. Quand vous ne voyez votre manager direct qu'une fois par mois parce qu'il est à 200 km, il est difficile de parler. Idem pour les ressources humaines, qui ont été déconnectées des salariés.

La direction a-t-elle conscience du problème?

Elle a très longtemps été dans le déni total, a refusé d'écouter ce que les médecins du travail avaient à dire des restructurations, sous prétexte que certes, les gens étaient basculés d'un poste à un autre, mais qu'au moins ils gardent un emploi, ce qui d'ailleurs n'est pas toujours le cas. Nous avons tenté de tirer la sonnette d'alarme à plusieurs reprises, en vain. La parole est très contrainte. Nous mêmes ne sommes pas informés par la direction des cas de suicide, nous les apprenons par la presse.

Et les cellules d'écoute censées apporter une aide aux salariés?

C'est un tout petit bout de réponse, alors qu'il faudrait repenser totalement l'organisation du travail. Ce qui est possible, j'en suis convaincue. Il faut reconstruire le réseau, redonner de la visibilité aux gens. Même ceux qui me disent qu'ils sont bien dans leur boulot, car il y en a, ont toujours la crainte que ça s'effondre. Ils me disent «pourvu que ça dure, parce qu'on ne sait jamais ce qu'ils mijotent». Il y a un sentiment, chez beaucoup de salariés, de relatif découragement. L'impression, réelle ou non, de ne pas assez bien faire son travail, de ne pas servir suffisamment bien les clients. Il faut comprendre que beaucoup d'entre eux ont une histoire professionnelle derrière eux, ils sont entrés comme fonctionnaires, avec un idéal de service public, et se retrouvent aujourd'hui avec le management et les objectifs de productivité d'une grande entreprise privée. Ils vivent douloureusement ce décalage.


Source :Liberation.fr




14/09/2009
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