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La psychologie du travail, petite oubliée des grandes écoles

 


REGARD SUR L’ENSEIGNEMENT DE LA PSYCHOLOGIE DU TRAVAIL

 

 

 

Par Rodolphe Greggio, ancien élève de l’Ecole normale supérieure, docteur en sciences de gestion, professeur d’histoire économique en classe préparatoire commerciale.




Notre enseignement supérieur appréhende de façon bien particulière les problématiques humaines qui se posent au sein des organisations, n’accordant ainsi qu’une place limitée à la psychologie du travail. Les grandes écoles de gestion, qui professent un enseignement de ressources humaines directement applicable à l’entreprise, n’y consacrent qu’une attention fort réduite – et encore, seuls les plus grands établissements disposent-ils d’un département spécifique de ressources humaines, une discipline perçue de toute façon comme parfaitement secondaire. Aux yeux des grandes écoles d’ingénieurs, peu sensibilisées dans l’ensemble aux sciences humaines - considérées en général avec scepticisme, voire condescendance et mépris - et orientées plutôt vers les modèles de gestion quantitative, la psychologie du travail n’en apparaît que davantage une terra incognita. De fait, l’université, à laquelle on peut joindre le CNAM, est le seul lieu où l’on dispense un enseignement de psychologie du travail.



Une telle tripartition disciplinaire et institutionnelle repose sur des oppositions épistémologiques fondamentales et, surtout, une hiérarchisation implicite des savoirs. D’un côté, la psychologie du travail a largement invalidé les fondements prétendument scientifiques de la gestion des ressources humaines – ainsi les théories d’un Maslow ou d’un McGregor. D’un autre côté, l’effondrement des grands paradigmes explicatifs de la psychologie, le déclin de la psychanalyse et de bien d’autres approches canoniques en psychothérapie n’ont pas été sans ébranler la psychologie du travail, dès lors considérée comme trop formaliste et incertaine d’un point de vue épistémologique. Cette dernière a subi les avancées spectaculaires de la neurologie et de la thérapie chimique - des traitements médicamenteux pourvu de surcroît d’une grande polyvalence fonctionnelle, efficaces aussi bien pour conserver l’employabilité de la main-d’œuvre au travail que pour réduire les souffrances de celle qui en est, parfois durablement, privée.

Pour autant, les problématiques et les méthodes de la psychologie du travail gardent une réelle pertinence. La compréhension des processus mentaux est encore trop rudimentaire pour qu’il soit possible d’établir une hiérarchie incontestable des différentes interprétations proposées par des disciplines aussi concurrentes que complémentaires. L’étude des conditions concrètes de travail, de l’usure, voire de la « souffrance » au travail (sans oublier la souffrance de ceux qui en sont dépourvus), la compréhension des stratégies des acteurs qui s’ingénient à mettre au point des dispositifs mentaux leur permettant de supporter durablement leurs conditions de travailleurs, sont plus que jamais nécessaires.



Cet effort apparaît comme d’autant plus indispensable dans le contexte actuel de crise de la valeur « travail » et de durcissement des règles du jeu du système économique. Dans un contexte où l’on constate le renforcement de la contrainte de compétitivité, à laquelle un nombre croissant de pays se trouve soumis du fait des progrès de la mondialisation. Où l’on relève une certaine paupérisation de la partie la moins formée du salariat. Où l’on note l’essor d’un réel séparatisme social, avec de moindres chances de promotion interne au sein des entreprises et de moindres possibilités d’ascension par le travail, avec – de surcroît - la relative fermeture sociale des promotions récentes des grandes écoles et l’oubli par les catégories supérieures du caractère physiquement pénible des tâches des salariés les moins qualifiés. Bref, cet effort apparaît indispensable à une époque caractérisée par la fin de l’amélioration tendancielle des conditions de travail (voire leur dégradation), par la forte progression de certaines pathologies physiques (troubles musculo-squelettiques, lésions par efforts répétitifs) mais surtout des troubles psychiques (stress, surmenage, véritables états confusionnels parfois). Sans oublier, enfin, le chômage structurel de masse, peu propice au reclassement des salariés en proie à des difficultés psychiques, et le déplacement du balancier des pathologies du travail vers les pathologies du sous-emploi.



Introduire la psychologie du travail dans le cadre d’une approche pluridisciplinaire

En somme, la fin de la croyance dans la disparition de la domination (effondrement du marxisme et évaporation des transcendances politiques) et, plus largement, dans l’amélioration indéfinie des conditions de travail, l’enterrement par conséquent du compromis fordiste – un emploi pénible et monotone en échange de meilleures conditions de travail et d’existence –, sont autant d’éléments qui relégitiment la psychologie du travail, qu’il faut néanmoins désormais considérer moins sous l’angle d’une psychopathologie du travail (traitement des cas anormaux de souffrance psychique) que sous celui d’une psychodynamique du travail (application aux souffrances dans les situations normales d’emploi).

Les institutions d’enseignement supérieur ont un devoir particulier envers leurs étudiants : leur fournir des instruments conceptuels indispensables à la compréhension des logiques de fonctionnement des organisations dans lesquelles ou avec lesquelles ils sont appelés à entretenir des relations professionnelles. Il serait, dans ces conditions, tout à fait souhaitable que les grandes écoles ouvrent leurs portes à la psychologie du travail, mais en la recadrant dans un enseignement de sciences sociales et humaines profondément renouvelé, permettant d’envisager – c’est le point essentiel - l’homme au travail à partir d’une pluralité de contenus disciplinaires.



A côté des cours traditionnels de ressources humaines (un ensemble plus ou moins cohérent de droit du travail, de techniques quantitatives dérivées du contrôle de gestion et appliquées au facteur humain, de méthodes psychologiques rudimentaires et invalidées par la psychologie du travail mais faciles d’emploi), les enseignements de ressources humaines des grandes écoles de gestion – mais aussi d’ingénieurs - devraient ainsi développer un discours critique de leur discipline et introduire une vulgate des sciences neurologiques appliquées aux problématiques de la gestion, un enseignement à la scientificité moins contestable et qui connaît un développement rapide, notamment en neuro-économie.

En réalité, plus que par la psychologie du travail, les écoles devraient étoffer leur offre de sciences humaines en renforçant la sociologie des organisations et, au-delà, la culture générale. De fait, il serait beaucoup plus profitable pour leurs étudiants de lire quelques grands ouvrages classiques, d’assister à des représentations théâtrales et de visionner des films ayant traversé l’épreuve du temps. La consommation de ces biens culturels inciterait ces futurs décideurs à explorer les mécanismes du pouvoir et de la domination, déterminants essentiels mais aujourd’hui largement délaissés. Une telle consommation leur permettrait notamment de prendre la distance requise avec le psychologisme, dont la vogue tend à occulter les vrais enjeux de pouvoir – ainsi dans le domaine du harcèlement moral, interprété à l’heure actuelle par les agissements pervers de la hiérarchie ou de l’entourage, plutôt que par des stratégies d’optimisation des effectifs et des rationalités purement économiques, autrement plus pertinentes.

Source : Planetfacility




16/05/2008
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