Plongée dans le monde du travail précaire
Journaliste, Elsa Fayner s'est mise dans la peau d'une travailleuse peu diplômée, et a vécu de l'intérieur les emplois pénibles, mal payés, les contrats courts. Elle décrit un milieu dur où les salariés sont aussi de plus en plus isolés.
Suffit-il
de travailler plus pour gagner plus ? Est-ce parce qu'ils ne se bougent
pas assez que certains ne décollent jamais du Smic ? Elsa Fayner, une
journaliste de 30 ans, a voulu expérimenter de l'intérieur les discours
que l'on entend sur le monde du travail. Début 2007, après avoir allégé
son CV, elle a cherché du travail à Lille, où elle a passé trois mois.
Elle est devenue successivement télévendeuse, serveuse à la cafétéria
d'un grand magasin de meubles, femme de ménage dans un hôtel de luxe.
Quand on cherche, on trouve, entend-on. Avez-vous trouvé facilement ?
Oui,
certains boulots sont tellement pénibles que les gens abandonnent vite.
Dans les call centers notamment. Le call center, c'est le travail à la
chaîne des temps modernes. Pire même, parce qu'au lieu d'un
contremaître, c'est un ordinateur qui surveille. Je vendais des
abonnements téléphoniques, il fallait passer 300 appels par jour,
pour 100 conversations ! Les cadences étaient infernales, le management
humiliant, infantilisant. Nous étions écoutés en permanence. Ceux qui
réalisaient de bonnes ventes gagnaient des tickets à gratter et des
pots de confiture ! Nous n'avions le droit d'aller aux toilettes qu'à
certains moments. Quand quelqu'un réalisait une vente, des mains
apparaissaient sur l'écran et tout le monde devait applaudir ! La
fatigue mentale était terrible. À l'hôtel, c'était plutôt la fatigue
physique.
À l'hôtel, vous avez décroché un CDI ! Vous n'étiez plus dans le travail précaire.
Si...
Le travail précaire, c'est celui qui est exercé en CDD, en intérim,
mais aussi l'emploi stable que le salarié vit mal. A l'hôtel le travail
était pénible, les heures supplémentaires non rémunérées, les
perspectives d'évolution faibles, les pauses sautaient... Beaucoup
souffraient de ne pas avoir le temps de bien faire leur travail, ne
supportaient pas l'ambiance de suspicion. À travailler le soir, le
week-end, les temps de sociabilité sont inexistants, cela grignote
mentalement.
Votre expérience la plus positive a été celle de la cafétéria. Pourtant, elle avait aussi ses revers.
Oui,
ils nous disaient que nous faisions partie d'une grande famille, nous
poussaient à être polyvalents, responsables, autonomes... En fait, à la
cafétéria, l'autonomie se borne à décider dans quel ordre vous
accomplissez vos tâches, est-ce que vous décongelez d'abord le poulet
ou les saucisses ? La polyvalence fait que l'on ne maîtrise pas tous
les postes, on passe sans gants de la caisse à la cuisine, on croit que
l'autre a accompli la tâche et il ne l'a pas faite... Et surtout l'état
d'esprit famille est assez incompatible avec le temps partiel et les
emplois du temps qui changent tous les quinze jours !
Qui sont les plus exposés au travail précaire ?
Dans
les services, j'ai rencontré beaucoup de femmes. Mais en règle
générale, ce sont les moins qualifiés. Les plus diplômés rattrapent
leurs ambitions, sortent de la précarité. Les autres risquent d'y
rester. Pour eux, peu de deuxièmes chances ! Une de mes ex-collègues
n'en peut plus de la télévente, mais à l'ANPE on lui répond « Vous ne
savez faire que ça ! » Elle n'a que 23 ans... À l'hôtel, une femme de
ménage aurait adoré redevenir caissière. Comme les caissières sont
presque toutes à temps partiel, cela revenait à diviser son salaire par
deux !
Le travail est-il plus pénible aujourd'hui ?
La
pénibilité a changé de nature. Les cadences de l'industrie ont gagné
les services, où la pénibilité est liée au rythme, au peu de moments de
répit, au stress accru, à la nécessité d'abandonner une tâche pour une
autre plus pressante... La répétition du même mouvement, accompli sous
tension, donne des résultats désastreux. Les troubles
musculo-squelettiques, (TMS) sont en constante augmentation.
Et les salariés seraient de plus en plus isolés.
Oui,
cela vient de l'individualisation du temps de travail, l'autonomie
accrue... Il y a aussi une fracture entre ceux du » dehors » les
intérimaires, CDD, sous-traitants, et ceux du « dedans » les salariés
en CDI. Les premiers ne bénéficient pas des avantages des seconds,
mutuelles, repas à prix intéressants, comité d'entreprise... Il y a un
éclatement du collectif !
Alors, suffit-il de travailler plus pour gagner plus ?
Beaucoup
de salariés aimeraient travailler davantage ! Mais comment concilier
deux emplois à temps partiel, avec des horaires changeants ? Certains
cumulent quelques heures par-ci par-là, pour toucher, au final, un
salaire inférieur au Smic. Mais ce n'est pas un problème de volonté. Je
n'ai pas rencontré de gens qui ne se bougeaient pas. Plutôt des gens
qui venaient bosser, pour un salaire de misère, en disant « Je ne vais
pas passer mes journées à regarder le mur ! »
Florence PITARD.
Et pourtant je me suis levée tôt, Panama
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